Construction de la citoyenneté numérique
Lors du colloque In-Fine 2022, Laurent Cordonnier, sociologue et chercheur, a évoqué l’importance de l’esprit critique à l’ère numérique, pour construire les citoyens de demain.
Le récent colloque In-Fine, qui s’est tenu le 13 octobre à Poitiers, a réuni de nombreux spécialistes du numérique éducatif. Plusieurs conférences ont permis de faire le point sur des thèmes essentiels liés à tout cet écosystème. Parmi eux, le numérique et la construction de la citoyenneté numérique.
L’École a un rôle essentiel à jouer dans le développement de l’esprit critique et de l’éducation aux médias et à l’information. Faire preuve d’un esprit analytique capable de résister à certaines intuitions immédiates est une compétence centrale qui doit être prise en charge par l’ensemble des professeurs à tous les niveaux de la scolarité.
Mieux contrôler son environnement numérique pour être capable de le transformer et ne pas être sous son emprise passe notamment par une meilleure connaissance des désordres informationnels de l’ère numérique, ainsi que par un engagement actif des apprenants dans une réflexivité sur les systèmes de croyance, habitudes et convictions qui contribuent à leur désinformation et encadrent leur réception de l’image.
Un sujet vaste et complexe, surtout chez un jeune public. Un défi, aussi, quand on sait que 40% des Français ne disposent pas des compétences numériques nécessaires pour les parcours professionnels d’aujourd’hui et de demain.
Avec la multiplication des informations diffusées sur les réseaux sociaux, il est plus que jamais important de faire preuve d’esprit critique, en particulier pour être capable de résister dans un monde numérique où le réflexe passe souvent avant la raison.
Laurent Cordonnier, sociologue et chercheur qui participait au colloque In-Fine, a parlé de la polarisation affective croissante de la société, à savoir une « détestation du camp adverse ».
Or, « une démocratie, basée sur la contradiction des idées, n’est pas compatible avec de tels extrêmes », poursuit le sociologue. « Il est pourtant montré que le numérique appuie ce type de comportement, notamment via les algorithmes, comme sur les réseaux sociaux. À chaque fois, ce sont pour des raisons commerciales. Une réaction négative entraîne un temps plus long passé sur une page web, donc plus de temps pour la pub, donc plus d’argent pour les plateformes. »
Si le chercheur souligne l’importance de l’envers du décor, il se veut aussi rassurant sur le fait qu’en moyenne, nous sommes plutôt efficaces pour déceler les fake news.
Un facteur intéressant pour évaluer le vrai du faux sur Internet est à chercher du côté de la pensée intuitive et de la pensée analytique. La première désigne la tendance à suivre son intuition à chaud face à une information, plutôt qu’à l’analyser. « La pensée intuitive n’est pas toujours mauvaise, au contraire. Il s’agit d’un instinct qui s’est construit au fil de l’évolution et qui permet de juger rapidement une situation d’incertitude », explique Laurent Cordonnier. « Mais dans certains cas, on observe des erreurs de jugement. »
C’est notamment vrai dans le cas du biais de confirmation, soit la tendance à aller chercher des informations qui vont nous conforter dans notre erreur. L’internaute se retrouve alors enfermé dans une chambre d’écho, à l’image du mouvement des antivax, par exemple. « Cette tendance est très présente sur les réseaux sociaux, qui ont d’abord un rôle de divertissement, où nous baissons la garde. Or, les études montrent que dans ce cadre, nous sommes plus sensibles aux fausses informations. »
« Il est donc nécessaire de renforcer l’esprit critique des citoyens », alerte Laurent Cordonnier. Inscrit dans la pensée analytique, il s’oppose à la pensée intuitive. Le sociologue commence d’emblée à poser l’une des difficultés de ce type de raisonnement, en notant qu’il s’agit de réaliser que nous sommes dans un état de dépendance des autres.
« On ne sait presque rien sur le monde sans témoignage d’autrui. Tout le monde est dépendant du témoignage de tiers. La première étape de l’esprit critique est donc d’être capable d’attribuer sa confiance de manière ciblée, raisonnée. Dès lors que l’on sait que nous sommes potentiellement sensibles au biais de confirmation, on peut éviter le piège. »
Pour le ministère de l’Éducation nationale, l’éducation aux médias doit « apprendre aux élèves à lire, à décrypter l’information et l’image, à aiguiser leur esprit critique, à se forger une opinion, compétences essentielles pour exercer une citoyenneté éclairée et responsable en démocratie ».
Plus largement, elle vise l’acquisition par les élèves de trois grands types de compétences :
- l’éducation à la citoyenneté, en développant leur esprit critique, la distance intellectuelle pour mieux appréhender les contenus diffusés par les médias. Elle leur apprend les règles d’un usage réfléchi des moyens d’information et de communication, de façon à garantir leur propre protection et le respect d’autrui ;
- une formation esthétique, pour découvrir des œuvres iconiques, cinématographiques et télévisuelles ainsi que le contexte dans lequel elles s’inscrivent, apprendre à les analyser, s’informer sur l’histoire des représentations ;
- la maîtrise des langages, en décryptant les codes et en maniant les différents langages médiatiques, mais aussi à produire eux-mêmes des contenus, par exemple à publier de l’information.